Ressource pédagogique
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Carte « Dynamique des savoirs »
Ressource pédagogique
Toutes disciplines ; tous niveaux
par Jacques VINCE
Lycée Docteur Charles Mérieux - 69007 Lyon
et Julien MACHET
Collège de la Dombes - 01390 Saint-André-de-Corcy
L
a ressource « Dynamique des savoirs » vise à contribuer à la pensée critique et à la
réflexivité des élèves au sujet de ce qu’ils apprennent. Elle prend la forme d’une « carte » qui
peut être affichée dans la salle de classe et qui est utilisée sur le temps long et en contexte
au gré des apprentissages. Il s’agit de permettre aux élèves de comprendre que le « savoir » est
une entité dynamique, construite collectivement et à laquelle on accède partiellement à l’échelle
individuelle. On alimente ainsi une forme d’humilité épistémique : les savoirs reconnus comme
Vol. 119 - Octobre 2025
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Les ressources transdisciplinaires
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tels, qui doivent être distingués des opinions ou des croyances, sont difficiles à estimer sur la base
de notre savoir individuel très limité et se heurtent eux-mêmes au champ de l’inconnu. Cette
posture contribue à légitimer l’apprentissage et la recherche.
Objectifs de cette carte
L’objectif de cette carte est de participer à construire chez les enseignants et les
élèves une posture d’humilité indispensable à la mise en œuvre d’une pensée critique
en lien direct avec notre fonctionnement sociétal. Cette carte est au service de deux
objectifs principaux, qui ne peuvent être atteints que sur du temps long et à l’aide
d’exemples pris en contexte au fil des apprentissages :
? Percevoir que le corpus de savoirs (ce qu’on sait, le « on » étant ici volontairement indifférencié) est un « objet » dynamique non seulement pour l’élève (c’est ce que vise
en partie son apprentissage), mais aussi pour la communauté humaine, et particulièrement celle qui est en responsabilité de repousser les limites du connu, c’est-à-dire
les chercheurs et chercheuses. Il est en conséquence normal de ne pas « tout » savoir.
? Comprendre que les savoirs « reconnus » comme faisant partie de « ce que l’on sait »
sont socialement construits, mais obéissent à des processus de validation qui font
qu’ils sont reconnus par la communauté humaine formée des chercheurs et des chercheuses et qu’ils se distinguent par exemple d’une opinion (« je sais que ») ou d’une
croyance (voir sur ce point [1]).
Avoir ces deux objectifs en tête permet de viser ce qui nous paraît indispensable : qu’un élève ait compris l’importance des structures sociétales qui permettent la
construction des savoirs et ait intégré qu’il ne pourra absolument pas, à l’échelle individuelle, s’en passer sans prendre le risque de surévaluer la fiabilité de sa description du
monde. Il convient donc d’être humble quant à l’étendue de nos connaissances pour
comprendre qu’il est indispensable d’avoir recours à des savoirs académiques et à des
« experts » et des médias chargés de les relayer, mais à la condition d’être outillé pour
juger du degré de confiance qu’on peut attribuer à la personne, à la communauté, au
collectif ou à l’institution qui énonce ce savoir. Cette compréhension nous paraît un
préalable à la défense citoyenne d’un bon fonctionnement des institutions scientifiques
et médiatiques. De même, l’acceptation à l’échelle individuelle de l’étendue du champ
de l’inconnu, participe à rendre caduques de nombreuses descriptions simplistes du
monde. Les savoirs sur le monde peuvent s’avérer complexes, ils le sont de plus en plus
au fur et à mesure que le champ du connu progresse.
Dans un cadre plus général, une bonne partie des travaux actuels sur la pensée
critique focalisent sur le champ du vrai et du faux et sur la distinction entre le savoir
et les croyances. Il nous paraît intéressant de nous positionner sur le terrain éducatif : il
semble pertinent d’être humble à propos de ce que l’on sait pour ne pas trop étancher
inconsciemment notre soif de description du monde en surestimant nos connaissances,
notre compréhension, et notre capacité à les estimer, ou encore en validant subjectivement de « faux-savoirs ». Ces deux procédés, tentants, alimentent le risque de se
perdre individuellement et/ou collectivement dans des croyances illusoires ou dans des
« pseudo-savoirs » dont la fiabilité n’est pas avérée.
Carte « Dynamique des savoirs » (ressource pédagogique)
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Les choix qui ont été faits
Nous avons choisi de nous limiter ici à un usage du mot savoir faisant uniquement
référence aux savoirs académiques. Même s’il peut être intéressant d’utiliser ce mot
également pour légitimer des expertises de terrain (c’est souvent le cas des savoirs « en
acte », des savoir-faire plus ou moins ancestraux), à l’échelle collective ou individuelle,
un objectif pédagogique nous a semblé primordial : l’élève doit réaliser la différence
entre l’étendue des savoirs actuels totaux et les siens. Les savoirs mentionnés ici servent
donc de référence aux savoirs scolaires que l’institution scolaire décide d’inclure aux
« communs » après un processus de transformation inévitable (la transposition didactique) pour en faire des savoirs enseignables.
Ce point est une base du contrat social justifiant le rôle de l’école et l’importance
d’une société démocratique où la décision politique se base sur une description du
monde fiable (au sens où les processus de validation ont été respectés) et où la science
est donc indispensable. Il nous semble important de redire la centralité des savoirs
académiques, car certaines formes de relativisme ou de constructivisme engendrent
parfois un rejet politique de la construction scientifique. La montée en puissance de la
possibilité d’une communication individuelle immédiate dont l’objectif est avant tout
« l’impact » remise au second plan la question de la fiabilité des savoirs et participe à
créer un climat de suspicion généralisée.
Adaptations possibles et usages pédagogiques
En gardant en tête les objectifs précédents, le professeur peut évidemment adapter la carte à ses élèves, mais nous invitons à en faire un outil pluriannuel, et donc si
possible partagé au sein d’une équipe disciplinaire, mieux encore entre disciplines. Au
titre des adaptations, il est par exemple possible, dans un premier temps, de supprimer
les mentions de « mise en abîme » (on sait qu’on ne sait pas par exemple).
La carte peut être affichée en grand format en classe, pour pouvoir s’y référer
régulièrement(1).
Concrètement, au fil des activités réalisées en classe, les affirmations peuvent être
localisées sur la carte. Par exemple lors d’une phase d’institutionnalisation, on peut
identifier le savoir enjeu d’apprentissage et reconnaître que s’il n’a pas « bougé » dans la
carte, la zone blanche représentant ce que sait l’élève a légèrement augmenté. On peut
aussi localiser une affirmation d’élève (« j’ai entendu que… ») dans la zone « inconnu » (si
c’est le cas) ou dans la zone « connu » (en fonction de la capacité du professeur à juger,
lui-même devant faire preuve d’humilité quant à son incertitude).
Au fil de l’enseignement, plusieurs mécanismes peuvent aussi être rendus visibles :
? La distinction entre le savoir individuel (souvent nommé connaissance dans la littérature spécialisée) et le savoir académique des communautés scientifiques.
? La distinction entre le savoir académique dont on a conscience même si nous ne
(1) En pdf : https://www.prof-vince.fr/esprit_critique/Carte_Dynamique_des_savoirs.pdf
En jpeg : https://www.prof-vince.fr/esprit_critique/Carte_Dynamique_des_savoirs.jpg
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le maîtrisons pas et celui, bien plus vaste, dont nous n’avons même pas conscience.
? Le caractère dérisoire de notre savoir individuel face au savoir « total », même s’il
structure forcément notre vie. Le caractère indispensable du savoir académique en
découle, ainsi que celui de l’apprentissage, du rôle de l’école ou des médias de vulgarisation.
Ainsi cela permet de montrer que c’est une erreur de logique que de refuser l’apprentissage, car nous refusons des savoirs dont nous n’avons en grande partie pas
conscience et dont nous ne pouvons donc pas connaître les conséquences bénéfiques.
L’importance de l’accès citoyen à ces savoirs via des médias fiables et indépendants
peut aussi être mise en avant.
? Le champ de l’inconnu, vaste, et le rôle de la recherche.
La carte, de par sa représentation spatiale, permet de montrer que les chercheurs
découvrent de nouvelles descriptions du monde réel, mais ne sont pas « des créateurs
du réel ». Le réel est là que nous le comprenions ou non. L’étendue de ce qui relève
de l’inconnu est également fondamentale. Si elle pousse à justifier la nécessité d’un
travail de recherche, elle nous oblige aussi à nous interroger sur notre position face aux
situations où l’inconnu existe. Individuellement, face à l’incertitude, estimons-nous
ce qui est le plus probable ? Ce qui nous arrange ? Ce que nous serons en mesure de
justifier ensuite ? Ce qui nous fait envie ?… La question de notre rapport humain à
l’incertitude peut ainsi être esquissée via l’angle de la métacognition : sommes-nous
capables de justifier honnêtement nos choix ? Quelles que soient les réponses que chacun choisit dans une situation donnée où l’inconnu existe, il nous paraît défendable en
classe qu’accepter humblement la part d’inconnu soit sain et que nier nos incertitudes
en comblant faussement la zone inconnue par de « faux-savoirs », résultats de croyances
ou d’opinions, soit un procédé très risqué (par rapport à la question de la fiabilité de
nos descriptions du monde) même s’il peut sembler rassurant ou arrangeant (pour notre
image, notre rôle social…) à première vue.
BIBLIOGRAPHIE
[1] G. Lecointre, Savoirs, opinions, croyances, Paris : Belin éducation, 2018.
Jacques VINCE
Professeur de physique-chimie et formateur
Lycée Docteur Charles Mérieux
Lyon (Rhône)
Carte « Dynamique des savoirs » (ressource pédagogique)
Julien MACHET
Professeur de physique-chimie et formateur
Collège de la Dombes
Saint-André-de-Corcy (Ain)
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