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L'article du mois (juillet/août/septembre 2025)

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Genèse des lois de Kepler
Partie 1 : Kepler et le secret du Cosmos(1)
par Léandre MACHIN
Lycée des Flandres - 59190 Hazebrouck


Les lois de Kepler sont une constante des programmes de physique-chimie de terminale
depuis plusieurs décennies et sont toujours présentes dans les programmes de la spécialité
aujourd’hui. Leur genèse est cependant rarement explicitée. Bien que Johannes Kepler ait
été un physicien besogneux qui aurait réussi à décoder les mathématiques du mouvement des planètes, ses recherches sont empreintes de mysticisme, de considérations religieuses et philosophiques qui seraient aujourd’hui perçues comme dénuées de valeurs scientifiques. Le but de cet article est de donner quelques pistes pour ceux qui voudraient aborder rapidement la découverte de ces lois par Kepler et montrer aux élèves que le « chercheur » n’est pas un être froid et parfaitement objectif, mais un être empreint d’opinions de toute sorte qui façonnent inconsciemment ses travaux et qui peuvent le mener vers des lois physiques véritables, bien qu’il doive être capable de rompre avec ses idées préconçues pour progresser.
INTRODUCTION
Johannes Kepler (1571-1629) aura, de façon quasi mystique, recherché l’harmonie
du monde. Il était impossible pour lui que l’Univers fonctionne sans que simplicité,
beauté, perfection ne le régissent. Il consacrera deux ouvrages à ce sujet : le Mysterium
Cosmographicum [1] et l’Harmonice Mundi [2], publiés avec plus de vingt ans d’écart.
Dans ces ouvrages, Kepler recherche l’harmonie à travers la géométrie et la musique.
Si aujourd’hui ses conceptions paraissaient étranges, elles lui ont pourtant permis de
découvrir trois lois qui régissent les mouvements de tous les astres en orbite autour d’un
corps central. Cette mystique traverse toute l’œuvre de Kepler.
Je propose ici d’examiner le cheminement qui a amené Johannes Kepler à cette
recherche de beauté et d’harmonie dans le mouvement des planètes à travers les deux
œuvres citées précédemment. Dans ce premier article, j’examinerai quelles sont les
sources mystiques de Kepler et notamment ce qu’il puise dans le platonisme (géométrie) et dans le pythagorisme (harmonie musicale).
(1) NDLR : la partie 2 de cet article paraît dans ce numéro (cf. Le Bup n° 1076, juillet-aoûtseptembre 2025, p. 585-595).
Vol. 119 - Juillet / Août / Septembre 2025

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Nous verrons qu’à partir de ses sources Johannes Kepler produit un premier
modèle d’harmonie géométrique dont il ne se contentera pas. Ses recherches l’amèneront à devoir s’écarter de l’harmonie et « d’abolir » les orbites circulaires. Cet aspect
sera l’objet d’un second article.
Il ne s’agit ici que de recherches personnelles et cet article ne prétend ni remplacer le travail d’un véritable historien ou philosophe des sciences ni produire des faits
nouveaux dans la compréhension des travaux de Johannes Kepler. J’espère simplement
donner des pistes raisonnables pour comprendre son cheminement de pensée. Je m’inspire des esprits initiés qui ont étudié cette question tels qu’Alexandre Koyré, Gérard
Simon ou encore Arthur Koestler.
1. LES SOURCES MYSTIQUES DE KEPLER
Johannes Kepler se nourrit d’influences anciennes et notamment de Pythagore
et son école (parfois apparentée à une sorte de secte). Les pythagoriciens ont été
les premiers à relier une quantité à une qualité à travers l’étude de la musique : ils
comprennent que la hauteur d’une note est due à la longueur de la corde vibrante et
montrent que les intervalles consonants d’une gamme sont dans des rapports simples
de nombres entiers : l’octave 2:1, la quinte 3:2, la quarte 4:3, la tierce 5:4. Ils appellent
cela l’harmonie. Mais pour eux, notamment Philolaos, l’harmonie est quelque chose
de plus vaste qu’une simple application à la musique. Ils estiment que l’Univers est régi
par des rapports numériques harmonieux et souhaitent appliquer ce principe notamment aux planètes du Système solaire. Une part du travail des partisans de cette théorie
à la fois mystique et scientifique (ou du moins mathématique) et de rechercher des
rapports harmoniques à travers les grandeurs mesurables des différentes planètes, par
exemple à travers les distances des différentes planètes (par rapport à la Terre pour les
géocentristes, par rapport au Soleil pour les héliocentristes). Platon dans le Timée [3]
utilise cette théorie pour déterminer les proportions de l’Âme du Monde fixées par le
Démiurge. Il crée une série numérique 1, 2, 3, 4, 9, 8, 27 en fusionnant les séries des
premières puissances de 2 (2, 4, 8) et de 3 (3, 9, 27). Il peut alors tirer de cette série
les différents rapports consonants. Johannes Kepler s’inscrit dans ce type de recherche.
On peut aussi essayer de déterminer ce type de rapport entre les vitesses relatives des
différentes planètes comme le propose Cicéron. L’intérêt de Kepler pour l’Harmonie
des sphères est aussi lié à son intérêt pour l’astrologie. Il la pratique (et n’a aucun mépris
pour elle) et voudrait fonder une astrologie nouvelle aussi vraie qu’une science expérimentale. Son postulat de base est que, puisque l’oreille réagit aux harmonies musicales,
l’âme individuelle doit réagir aux harmonies géométriques des planètes.
Un autre point important de ces pérégrinations intellectuelles est tiré de l’école
pythagoricienne : l’étude des cinq solides parfaits. Les pythagoriciens sont les premiers
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à les définir. Platon les utilise dans son Timée encore une fois pour fonder sa théorie
des éléments. Chaque solide parfait est associé à un élément : le cube pour la terre, le
tétraèdre pour le feu, l’octaèdre pour l’air et l’icosaèdre pour l’eau. Le dodécaèdre est
réservé à l’élément dont est composé le monde céleste. Johannes Kepler utilisera ces
cinq solides dans un autre cadre, mais il les tire bien du travail des pythagoriciens et
de Platon.
On peut dire que du point de vue de la philosophie naturelle, Johannes Kepler est
mystique et qu’il peut être résolument pythagoricien ou platonicien, et même parfois
les deux simultanément. Bien évidemment, il serait réducteur de dire que ce sont les
seules sources d’inspiration de Kepler, mais ce sont les plus fondamentales en ce qui
concerne les recherches qui le préoccuperont, durant toute sa vie, sur l’harmonie du
monde.
Une autre source qui, en apparence, n’est pas mystique, mais l’est d’une certaine
manière pour Johannes Kepler, est Nicolas Copernic (1473-1543). Kepler est résolument attiré par le modèle héliocentrique exposé par Copernic dans le De Revolutionibus
Orbium Coelestium. Il ne se contente pas d’admirer le modèle astronomique qui lui
semble plus harmonieux par les simplifications qu’il y trouve. Il y trouve aussi le symbole de la Trinité comme je le détaillerai par la suite. Ainsi le modèle de Copernic revêt
une valeur religieuse pour Kepler. Il a été initié à ce modèle par son maître Michael
Maestlin (1550-1631) à Tübingen (Allemagne). Kepler croit, comme Copernic à
l’anima motrix (âme motrice) du Soleil, ce qui s’apparente à l’Âme du monde de Platon.
Enfin, la dernière et tout aussi importante source pour Johannes Kepler est
l’ensemble des données d’observations fournies par Tycho Brahé (1546-1601). C’est
une source de données scientifiques qui lui permettra de défendre ses modèles, de les
quantifier, de les comparer à la réalité et de les corriger si nécessaire.
2. DIEU GÉOMÈTRE : LE MYSTERIUM COSMOGRAPHICUM
Le premier livre publié par Johannes Kepler concernant l’harmonie de l’Univers
est aussi le premier de ses publications. Il s’agit du Mysterium Cosmographicum (« Le secret
du monde ») publié en 1596. Ce livre est issu d’une réflexion sur un problème simple :
les planètes sont au nombre de six (Mercure, Vénus, Terre, Mars, Jupiter et Saturne,
les six planètes connues à l’époque depuis l’Antiquité). Pourquoi ? Pour Kepler, il n’y
a pas de hasard. Ce nombre peut nécessairement être justifié. C’est d’ailleurs ce qu’il
annonce dès sa préface :
Mon dessein, Lecteur, est de démontrer dans ce petit ouvrage que le Créateur Très Bon et
Très Grand s’est référé pour la création de ce monde mobile et la disposition des cieux à ces
cinq corps réguliers qui, depuis Pythagore et Platon jusqu’à nos jours, ont acquis une si
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grande célébrité, et qu’il a ordonné en fonction de la nature le nombre des cieux, leur proportion et le rapport de leurs mouvements.
À partir de ces cinq solides (six planètes donc cinq intervalles entre elles), il va construire
une cosmologie copernicienne.
2.1. Kepler copernicien
Le premier chapitre du Mysterium Cosmographicum est consacré à la défense du
modèle « héliostatique » de Nicolas Copernic. Johannes Kepler exprime tout d’abord le
fait qu’il est frappé par le « très bel accord qui existe entre tous les phénomènes célestes et les
opinions de Copernic » et est admiratif de l’élégance de ce modèle. Ce qui est étonnant,
car le De Revolutionibus a la réputation d’être un texte très complexe. Mais la principale
raison d’adhésion au modèle de Copernic est sa capacité à expliquer les mouvements
passés, mais aussi les mouvements futurs avec plus de précision que le modèle de Claude
Ptolémée (v. 100-v. 168). D’ailleurs, c’est cet argument que Kepler retourne au détracteur de Copernic qui affirme que l’on peut réaliser des prédictions vraies à partir de
prémisses fausses. Mais le modèle de Copernic n’est jamais mis en défaut, quel que soit
ce que l’on veut démontrer. De plus, il est capable d’expliquer certains phénomènes
que les géocentristes étaient incapables d’expliquer correctement : les stations et les
rétrogradations de certaines planètes. Alors que Claude Ptolémée les admet, Copernic
les explique. Comme l’écrit Alexandre Koyré, Kepler « permet au lecteur de comprendre
comment la réalité copernicienne peut donner lieu à l’apparence ptoléméenne » [4]. Le dernier
argument que Kepler donne en faveur de Copernic est celui de la simplicité : son
modèle permet de supprimer des orbes au système complexe des déférents et épicycles
(ces cercles décrivant des mouvements circulaires complémentaires permettant de
décrire les mouvements complexes des planètes), tout au moins dans le premier livre.
2.2. La Sainte-Trinité
Dans sa recherche d’harmonie, Johannes Kepler cherche à rationaliser l’ordre des
corps du Système solaire. Se destinant à l’origine à une carrière de pasteur, il cherche
à justifier le système héliocentrique par des arguments religieux. L’Univers est délimité
par l’orbe des fixes qui est bien évidemment sphérique. La sphère est pour Kepler la
forme géométrique parfaite comme dans le Timée de Platon. En effet, le cercle n’est
situé que dans un plan. Or la réalité est que nous vivons dans l’espace, c’est pourquoi
Kepler ne considère pas le cercle comme la perfection. Quant au globe (au sens du
volume), il est un mélange de courbe (ce qui est divin, le Créateur) qui compose sa surface et de droit (les créatures) qui remplit son volume en partant du centre. Le globe ne
peut donc être la forme parfaite puisqu’il contient du droit. Le Soleil est donc au centre
d’un Univers sphérique et l’espace intermédiaire est occupé par les planètes. Kepler va
associer ce trio Soleil-Sphère des fixes-Espace intermédiaire à la Sainte-Trinité, le Père,
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le Fils et le Saint-Esprit :
Et il y avait alors trois choses particulièrement dont je cherchais avec obstination pourquoi
elles étaient ainsi et non pas autrement, à savoir : le nombre, la grandeur et le mouvement
des orbes. Ce qui me poussait à m’attaquer à ce problème, c’est la belle harmonie des choses
immuables, Soleil, étoiles fixes et espace intermédiaire, avec Dieu le Père, le Fils et le SaintEsprit.
Le centre, où se situe le Soleil, est le point qui permet d’engendrer la surface
sphérique en tirant une infinité de rayons égaux. Bien qu’invisible, on peut le trouver
en réalisant le procédé inverse. Le centre est donc lié à l’image du Père. Quant à la
surface, puisqu’elle est engendrée par le centre, elle est l’image du Fils. Chaque point
de la surface est une image identique du centre. Enfin, l’espace intermédiaire est ce qui
relie le Père au Fils, il s’agit donc du Saint-Esprit.
Ainsi en réalisant la métaphore de la Trinité, Johannes Kepler trouve l’harmonie
qu’il cherche dans la structure globale de l’Univers. De plus, il considère le Soleil et
les planètes comme une reproduction moins parfaite du symbole abstrait de la sphère.
Mais bien évidemment, cela ne lui suffit pas et il cherche aussi l’harmonie qui se trouve
dans l’ordre et l’espacement des planètes entre elles.
2.3. La démarche de Kepler
Il est facile de connaître les démarches de Johannes Kepler pour aboutir au résultat
recherché. Dans ses ouvrages, Kepler expose toutes les étapes de son raisonnement,
même celles qui n’ont abouti à rien. Pour ce qui est du nombre, de l’ordre et de
l’espacement des planètes, sa démarche est simple : il essaie différentes relations entre
les distances des planètes et il vérifie si elles fonctionnent. Comment pourrait-il faire
autrement ? Il n’existe pas à l’époque de loi physique à partir de laquelle il pourrait
débuter son raisonnement.
Il commence par une hypothèse simple : chercher si certaines ont, entre elles,
des rapports double, triple, quadruple… Il concède lui-même qu’il a perdu beaucoup
de temps à procéder à ses calculs, mais cela lui permet de mémoriser les tailles des
différents orbes :
Et je ne tirai de là nulle autre utilité que de graver très profondément dans ma mémoire les
distances mêmes, telles qu’elles sont enseignées par Copernic.
C’est une des capacités de Johannes Kepler : être capable de mémoriser de grandes
quantités de données à force de les compulser. Cette qualité contribuera à lui permettre
de résoudre le problème des orbites elliptiques.
Johannes Kepler est tout de même rassuré par le fait que les mouvements (c’està-dire les vitesses des planètes sur leurs orbes) semblent être liés à la distance. Si le
Créateur a ordonné les vitesses aux distances alors les distances sont forcément ordonVol. 119 - Juillet / Août / Septembre 2025

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nées à quelque chose qui reste à découvrir.
Il continue en essayant une hypothèse audacieuse, celle d’ajouter des planètes
virtuelles entre certains orbes afin peut-être de rendre la relation entre celles-ci plus
évidente. Il attribue à ces planètes des temps de révolution. Il espère ainsi obtenir des
rapports entre les orbes qui croissent en se rapprochant de la sphère des fixes. Mais
une fois encore, il n’obtient rien de remarquable. De plus, il constate par lui-même
que cette hypothèse serait peu justifiable dans le sens où l’espace peut être divisé ainsi
à l’infini.
Les relations simples ne fonctionnant pas, Johannes Kepler se décide à utiliser
des objets mathématiques plus complexes tels que les sinus. Il représente dans un
« graphique », dont l’abscisse représente la distance par rapport à la sphère des fixes, un
quart de cercle. La distance est représentée par la distance entre l’axe des ordonnées
et le cercle pour chaque astre. Kepler cherche à montrer que les distances sont donc
proportionnelles au reste du sinus (en terme moderne à 1-sin x) et que les vitesses sont
proportionnelles au reste du sinus de l’angle complémentaire. Là encore, il n’aboutit
à rien.
Le déclic lui vient lors d’un cours qu’il donne en 1595. En tentant d’expliquer à
ses étudiants pourquoi les grandes conjonctions de planètes sautent huit constellations
du zodiaque, il trace au tableau un cercle dans lequel il inscrit une multitude de quasitriangles dont la fin est le début du suivant (cf. figure 1). Il s’aperçoit alors qu’il obtient
un cercle intérieur et que le rapport entre le cercle intérieur et le cercle extérieure est
proche du rapport entre les orbites de Saturne et Jupiter.

Figure 1 - Figure qui donne le « déclic » à Johannes Kepler en 1595.
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Il décide alors de faire la même chose avec des carrés, des pentagones… pour
trouver les rapports entre les orbites suivantes. C’est un échec. Cependant, cela permet
à Johannes Kepler de trouver la voie qu’il va suivre tout au long de son existence :
celle de la géométrie. Il prend à travers cela ses distances avec les pythagoriciens. En
effet, pour eux l’harmonie se cache à travers les nombres et l’arithmétique. Or Kepler
croit, comme Platon, aux images archétypales (les Idées) et considère dès lors que la
géométrie est l’archétype de la beauté du monde [5]. Il abandonne les nombres purs
pour les proportions géométriques.
Johannes Kepler s’aperçoit rapidement de l’erreur qu’il a commise en réfléchissant
aux cinq figures qu’il pourrait trouver pour les placer entre les orbes. De plus pourquoi
mettre des figures planes entre des espaces qui sont des volumes ? C’est alors qu’il pense
aux cinq solides parfaits définis par Pythagore et Platon et trouve enfin une solution !
2.4. Les solides parfaits

© Image issue du Mysterium Cosmographicum

Il est possible de trouver une infinité de figures planes possédant des côtés de
mêmes longueurs et des angles tous égaux. Par contre, il n’existe que cinq solides
possédant ces propriétés, solides que l’on nomme solides parfaits. Il s’agit du cube (ou
hexaèdre) dont les six faces sont des carrés, du tétraèdre dont les quatre faces sont des
triangles équilatéraux, de l’octaèdre dont les huit faces sont des triangles équilatéraux,
du dodécaèdre dont les douze faces sont des pentagones réguliers, et de l’icosaèdre dont
les vingt faces sont des triangles équilatéraux (cf. figure 2).

Figure 2 - Les cinq solides parfaits.
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Johannes Kepler va faire l’analyse des rapports entre les distances au Soleil et
les rapports des orbes inscrites et circonscrites aux cinq corps. Il démontre déjà ainsi
pourquoi six planètes se trouvent dans le Système solaire : il n’y a que cinq rapports
possibles, ce qui signifie six orbes. Kepler doit ensuite expliquer l’enchaînement des
différents polyèdres et justifier leur ordre. Il commence par expliquer qu’il y a deux
sortes de solides parfaits :
? Les primaires : cube, tétraèdre et dodécaèdre qui diffèrent tous par la forme de leurs
faces. Leurs angles sont simples, c’est-à-dire formés par trois faces. Ils ne doivent
leurs propriétés que par eux-mêmes. Ils sont plus « agréables » à regarder s’ils sont
posés sur une face. Enfin, ils montrent les trois types d’angles : droits (cube), aigus
(tétraèdre) et obtus (dodécaèdre).
? Les secondaires : octaèdre et icosaèdre qui ont pour faces le même motif que le tétraèdre. Leurs angles sont formés par quatre ou cinq faces et leurs propriétés découlent de celles des primaires. Leurs angles sont obtus. Et enfin, ils sont « agréables »
au regard s’ils sont posés sur un sommet.
On voit facilement que les planètes intérieures (Vénus et Mercure) étant au
nombre de deux, il est possible de leur associer les deux secondaires. Quant aux trois
primaires, ils seront associés aux trois planètes extérieures : Mars, Jupiter et Saturne.
La position de la Terre est alors parfaite : à la frontière entre les primaires et les secondaires. À partir de là, Johannes Kepler découpe deux sous-espaces dans le Système
solaire : de la sphère des fixes jusqu’à la Terre et du Soleil jusqu’à la Terre (l’ordre a
une importance). Des trois primaires, Kepler considère que le cube est le premier, car
il est l’identité même alors que le tétraèdre est « moins que le cube » et le dodécaèdre
« est augmenté » par rapport au cube(2). Ainsi le premier des primaires doit être le plus
proche de la sphère des fixes (qui est la partie la plus importante de l’Univers après
son centre). Par conséquent, le cube sera situé entre Saturne et Jupiter. Ensuite vient
le tétraèdre entre Jupiter et Mars, car il entre dans la construction des autres solides. Et
enfin, le dodécaèdre se trouve entre Mars et la Terre.
Il faut maintenant placer les secondaires. Johannes Kepler considère l’octaèdre
comme le premier des secondaires, car il est un mélange entre le cube et le tétraèdre
alors que l’icosaèdre est un mélange entre le tétraèdre et le dodécaèdre. Mais il ne place
pas l’octaèdre entre la Terre et Vénus, mais entre Vénus et Mercure, car le premier des
secondaires doit être plus proche du centre de la sphère, c’est-à-dire le Soleil. Bien
évidemment, l’icosaèdre prend sa place entre la Terre et Vénus. Ainsi à l’aide des cinq
solides parfaits il construit sa cosmologie (ou plutôt cosmographie comme le titre de
l’ouvrage qu’il projette d’écrire dans le Mysterium Cosmographicum et qui ne verra jamais
le jour) dans les huit premiers chapitres. Il est à noter qu’au chapitre 12, Kepler fait une
(2) Johannes Kepler justifie cela dans l’Epitome de l’astronomie copernicienne.
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première incursion dans le monde des harmonies musicales en essayant d’attribuer aux
solides des harmonies consonantes. Puis suivent des chapitres concernant l’astrologie, la
numérologie et le Zodiaque. Comme le signale Arthur Koestler dans Les somnambules
[6], cette première partie de l’ouvrage a un côté mystique ainsi qu’une inspiration
médiévale dans la façon dont Kepler justifie son modèle.
2.5. Les difficultés de sa théorie
La seconde partie de l’ouvrage est beaucoup plus empirique. Johannes Kepler
ne se contente pas de produire un modèle sans essayer d’en vérifier la cohérence et la
vraisemblance. Il doit se plier au test des données d’observations. Il utilise les valeurs
données par Nicolas Copernic dans le De Revolutionibus pour procéder aux calculs de
vérification. Pour tenir compte de l’excentricité avérée des orbites, on considère qu’ils
possèdent une épaisseur dont la paroi extérieure correspond à l’apoastre (apogée ou
aphélie suivant le modèle adopté) et la paroi intérieure au périastre (périgée ou périhélie). Pour réaliser ses calculs, Kepler considère que le rayon de la sphère intérieure de
l’orbite d’une planète vaut mille et il exprime le rayon de la planète suivante dans cette
échelle. Voici ce qu’il obtient en comparant aux valeurs de Copernic (cf. tableau 1).
Selon le calcul de Johannes Kepler

Selon Nicolas Copernic

Saturne 1000

Jupiter 577

635

Jupiter 1000

Mars 333

333

Mars 1000

Terre 795

757

Terre 1000

Vénus 795

794

Vénus 1000

Mercure 577 ou 707

723

Tableau 1 - Comparaison des valeurs obtenues par Johannes Kepler et Nicolas Copernic
(dans le Mysterium Cosmographicum).

Johannes Kepler est conscient du fait que ces valeurs ne sont qu’en accord
approximatif avec les valeurs observationnelles. Il ne le cache nullement. Cependant,
il propose plusieurs explications pour justifier ces écarts. Premièrement, la prise en
compte de l’épaisseur des orbites peut poser problème par exemple dans le cas de la
Terre si l’on considère ou non que la Lune est contenue dans cette épaisseur. Pour
Jupiter, il le justifie par la grande distance qui nous sépare d’elle. Pour Mercure, les
mouvements semblent difficiles à analyser (probablement à cause de la grande excentricité de l’orbite et du déplacement de son périhélie le long de l’orbite). Il va même
jusqu’à tricher légèrement en n’inscrivant pas la sphère de l’orbe de Mercure dans les
côtés de l’octaèdre, mais dans le carré formé par les quatre arêtes médianes. Enfin, il
précise que pour ses valeurs, Nicolas Copernic n’a pas considéré que le Soleil était le
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centre des orbites, mais qu’il s’agissait du centre de l’orbite terrestre. Il faudrait donc
recalculer les valeurs de Copernic en tenant compte de l’excentricité de la Terre.
Cependant, il existe des écarts, mais les ordres de grandeur sont relativement
proches et Johannes Kepler se refuse à penser qu’il s’agit d’un pur hasard. Bien qu’ils
doivent perfectionner sa théorie, il considèrera toute sa vie que sa théorie des solides
parfaits est correcte, même après la découverte de la première loi de Kepler sur la forme
des orbites.
Une dernière remarque concernant le Mysterium Cosmographicum : à partir du
chapitre 20, il commence à chercher une relation entre les distances au Soleil a et les
périodes de révolution T. Il constate notamment que plus une planète est éloignée,
plus elle est lente. Pour Johannes Kepler, ce ne peut être lié qu’à une force émanant du
Soleil. La relation qu’il trouve entre a et T se révèle fausse. Plus de vingt ans lui seront
nécessaires pour résoudre le problème.
CONCLUSION
Cet article, je l’espère, aura permis de comprendre comment Johannes Kepler
a réussi à mettre en adéquation sa vision d’une harmonie géométrique de l’Univers
avec la réalité des mouvements des planètes du Système solaire. Il est facile d’imaginer
comment sa recherche de rapports particuliers dans les distances ou les vitesses des
différentes planètes ont pu le mener à sa troisième loi. Mais entre sa pensée, à la sortie
du Mysterium Cosmographicum et ses fameuses lois, Johannes Kepler va devoir remettre
en cause certaines de ses perceptions et passer, notamment, par l’abandon de l’orbite
circulaire. C’est Tycho Brahé et ses données sur les mouvements de Mars qui lui
permettront de franchir cette étape. Ce sera l’objet d’un second article qui présentera
cet abandon et la découverte de la troisième loi reliant demi-grand axe des orbites et
périodes de révolutions.
BIBLIOGRAPHIE
[1] J. Kepler, Le secret du monde, traduction d’Alain Segonds, Paris : Les Belles Lettres,
1596 et 1984.
[2] J. Kepler, L’harmonie du Monde, traduction de Jean Peyroux, Paris : Librairie Albert
Blanchard, 1619 et 1977.
[3] Platon, Timée - Critias, traduction de Luc Brisson, Paris : GF Flammarion, 2001.
[4] A. Koyré, La révolution astronomique : Copernic, Kepler, Borelli, Paris : Herman, 1961.
[5] W. Pauli, Le cas Kepler, Paris : Albin Michel, 2002.
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[6] A. Koestler, Les somnambules, Paris : Les Belles Lettres, 2010.
Pour en savoir plus
? J.-P. Verdet, Astronomie et astrophysique, Paris : Larousse, 1993.
? P. Henarejos, M.-P. Lerner, G. Chevalier, E. Chadeau, A. Segonds, J.-P. Verdet,
C. Wilson et I. Pantin, « Kepler », Les cahiers de Science & Vie, hors-série n° 21, janvier 1994.
? G. Bouyrie, « L’arpenteur du web : mouvement des planètes, le cas de Mars », Bull.
Un. Prof. Phys. Chim., vol. 108, n° 962, p. 491-504, mars 2014.

Léandre MACHIN
Professeur agrégé de sciences physiques
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